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Après l’obtention de mon BEP de secrétariat, je suis arrivée chez Opinel le 23 octobre 1977 à l’âge de 18 ans en contrat de travail pour les moins de 25 ans au chômage. J’ai passé 32 ans au service commercial puis 13 ans au service marketing dont 6 années dédiées aux archives. J’ai pris ma retraite le 31 mai 2023 après 45 ans et 7 mois d’ancienneté.
En 45 années j’ai rencontré beaucoup de personnes formidables et j’ai tissé des liens avec certaines d’entre elles. J’ai vu l’entreprise évoluer dans sa façon de manager. Pendant plusieurs années, les relations avec la direction avaient plutôt un caractère « familial ». Il y a eu des moments difficiles et d’autres qui m’ont permis de prendre du recul et de m’adapter (ma mère appelait cela « plier comme le roseau » selon la fable de la Fontaine).
A Cognin j’ai été déléguée du personnel et membre du comité d’entreprise pendant plusieurs années. J’ai également passé mon brevet de secourisme et pendant 20 ans, toujours à Cognin, j’ai soigné les petites coupures.
Durant mes années au sein du service marketing, mes missions étaient de préparer les salons, de m’occuper des dons et des partenariats ainsi que des maquettes pour les entreprises et des tarifs.
Un jour, alors que je cherchais du travail après mes études de secrétariat, ma professeur de commerce au lycée Jules Ferry m’appelle pour me dire que la société Opinel cherche une secrétaire. J’obtiens un rendez-vous et je me présente accompagnée de ma mère comme c’était encore l’usage à l’époque (mon père aurait aussi pu m’accompagner mais il était en déplacement ce jour-là). C’est M. Maurice Opinel qui nous reçoit et qui nous fait entrer dans un petit salon (il y avait un N°13 ouvert dans de la résine, c’était impressionnant). Nous nous asseyons et commençons l’entretien quand soudain la porte s’entrouvre tout doucement et j’aperçois une personne avec ses lunettes sur le bout du nez qui nous observe. C’était M. Marcel Opinel en bleu de travail. Il est entré et s’est assis. L’entretien a continué avec M. Maurice.
Quelques jours après j’ai reçu un courrier (que j’ai toujours) qui indiquait en trois lignes qu’il fallait que je me présente le 23 octobre pour commencer à travailler chez Opinel.
J’ai été polyvalente pendant 2 ans, je faisais de la saisie informatique, du secrétariat (celui de M. Maurice Opinel), du standard et de la comptabilité analytique (j’additionnais des chiffres que quelqu’un me dictait pour remplir des tableaux). Puis j’ai eu un poste définitif au sein du service commercial.
J'ai aimé travailler au service commercial en contact avec les clients, les représentants etc. J'ai aimé travailler au service marketing avec les partenariats, les tarifs, les dons, le salon Maison&Objet et tant d'autres choses. Mais j'ai adoré travailler aux archives.
Je tiens à préciser que la société Opinel a depuis de nombreuses années fait un travail d'archivage. J'ai juste repris le flambeau et maintenant une autre personne me succède.
Je me suis rendu compte que j'aurais aimé faire ça toute ma vie ! Je me suis amusée, je m'y suis sentie bien, j'ai fait des découvertes, je me suis émerveillée. La particularité des archives c'est que l'on travaille avec des choses qui ont fait leur vie. Elles n'ont plus forcément d'intérêts dans le présent mais elles en auront dans l'avenir si besoin. Les archives, c'est aller à la source de l'histoire de l'entreprise. Ce sont toutes les années et les moments que j'ai traversés au sein de l’entreprise qui m'ont rendue plus sensible à l'importance de garder une trace.
Il n'y en a pas une en particulier. Tout est beau. De septembre 2022 à mai 2023, j'ai travaillé avec Brigitte Opinel sur les archives de M. Maurice Opinel. Au fur et à mesure du dépouillement j'ai retrouvé dans des documents sa minutie, son souci du détail, de la datation, des objets lui ayant appartenu. Encore une fois, que de souvenirs. Nous avons retrouvé des rasoirs, quelques outils, des ciseaux, des couteaux et encore des couteaux !... Et plus insolite, à une époque Opinel travaillait avec des sociétés qui fabriquaient des chaussures, nous leur vendions des cambrions (pièce en acier allongée, placée dans l'épaisseur du semelage).
Usine de Cognin
Pour accéder à l’usine, il y avait un parking à l’arrière et une cour à l’intérieur mais certains comme moi préférions nous garer sur la terrasse. Il fallait faire attention car l’accès était dans un virage. Sur le trottoir, il y avait un très vieux marronnier qui un jour de tempête a été déraciné (bien après notre départ de Cognin). En 1977, mis à part l’atelier bois qui était à Chambéry, toute l’usine était à Cognin. Lorsque l’atelier vernis était en fonctionnement, l’odeur se diffusait partout dans les bureaux.
Parfois, il fallait aller dans l'usine prévenir un responsable qu'il était demandé au téléphone. J'appréhendais quand je devais aller à la trempe car il y avait un escalier en pierre de quelques marches qui avaient été tellement polies par les passages quelles en étaient glissantes.
Fin des années 70 début 80, de nouveaux bâtiments ont été construits sur Chambéry. Le conditionnement, le montage, les expéditions ont quitté Cognin. De la place a été gagnée, des bureaux supplémentaires ont été créés, d'autres rénovés et mieux agencés.
Lorsque je suis arrivée chez Opinel, M. Maurice Opinel était le PDG et il assurait aussi la fonction de directeur commercial. Il y avait un directeur du personnel, un comptable, un responsable d’usine et un ingénieur.
Nous communiquions avec les clients par courrier pour les commandes et autres, et un petit peu par téléphone, et surtout, l'informatique était déjà là. Lorsque l’on m’a dit que j’allais recevoir une formation j’ai tout de suite adhéré à cette technologie.
La société Opinel a toujours suivi les évolutions de la société dans laquelle nous vivons : tél (lignes directes), Minitel, télex, fax, bipeurs, portables, ainsi qu’au niveau informatique, mise à jour du matériel etc. Je me rappelle que dans les années 80 des sociétés du bassin Chambérien venaient nous voir travailler sur nos IBM ! Nous avions d’énormes unités centrales. Le travail se faisait sur 3 générations de sauvegardes à chaque fois que l’on lançait des procédures. Souvenirs, souvenirs ! Et puis, il y a eu la construction sur Chambéry en 2003. Au revoir Cognin. Tout était plus grand : les bureaux, les ateliers, le parking. Et toujours cette volonté d’avancer. Le plus extraordinaire a été l’ascenseur. Un bonheur pour moi qui ai des problèmes maintenant pour me déplacer. Il a été un réel outil de travail. J’espère avoir contribué à son amortissement !
« Ah vraiment c’est fou ! » Mais figure-toi qu’une secrétaire administrative m’avait dit il y a très longtemps que dans la première moitié du 20ème siècle, il y a eu plus de 100 personnes. Je me dis que la marque a encore tellement de choses à dire et à faire, c’est sans fin. Un manche, une lame, un rivet, une virole fixe, une virole tournante : on peut les décliner à l’infini, au niveau du bois, des couleurs et même peut-être au niveau de l’acier. Il y a même eu des couteaux avec une lame damas !
La taille de couteau que je préfère est le N°06. Je le trouve féminin, classieux. C’est la taille idéale. Lorsque l’on a commencé à travailler avec du palissandre, j’ai été éblouie par la beauté du veinage et les déclinaisons de couleurs de ce bois. Un jour quelqu’un m’a offert un N°06 manche palissandre. Je l’ai gardé longtemps dans mon sac.
J’aime aussi beaucoup les couteaux Chaperon et les couteaux manche en corne mais celui qui a ma préférence c’est le couteau N°08 des 125 ans de la société. C’est un travail magnifique. Mais tout ça n’engage que moi !
Basiquement la motivation c’est le salaire, qui nous permet de vivre. Toutefois j’ai eu la chance de changer de métier au sein même de l’entreprise. En 2009, après des soucis de santé et cinq mois d’arrêt, la direction m’a proposé de travailler avec Françoise au service marketing. Lors de notre premier entretien je lui ai dit « tu sais Françoise, j’ai 50 ans » dans le sens « je ne suis plus toute jeune ». Elle m’a répondu que cela ne la gênait pas, au contraire et c’était parti ! Je ne connaissais rien au marketing mais Françoise a toujours été là pour me permettre d’avancer. Cela a vraiment été une très belle relation de travail avec une confiance réciproque. Au service commercial, je vendais les couteaux. Au marketing, je connaissais les couteaux avant qu'ils ne soient vendus. J’ai apprécié les couteaux Opinel tout au long de mon parcours.
Il y en a eu tellement ! Au travail, on est là pour travailler. Mais quand on pouvait « voler » quelques minutes pour partir en rigolade, c’était vraiment bien. Un jour M. Maurice Opinel est rentré dans le bureau alors qu’on était en plein fou rire et il a dit : «ah c’est bien ça rigole ici !» Cela nous a glacés et on s’est arrêté net.
Un jour à Cognin Christian Stein, directeur commercial, sort de son bureau, très énervé et dit : « réunion dans le bureau jaune tout de suite ». On s’y dirige avec Jeannine ma responsable. Il s’assoie et prend de grandes inspirations avant de s’exprimer : « J’ai vu que des informations sortaient du service et se trouvaient dans le communiqué du comité d’entreprise. Je vous préviens il va y avoir du sang sur les murs. » Sur le moment nous n’en menions pas large, mais il s’est avéré que la fuite ne venait pas du service. Par la suite nous utilisions souvent cette expression entre nous.
Mais oui, cela m'a fait très plaisir. Une création juste pour moi. Mon prochain achat en tant que retraitée sera les couverts à entremet et moka Perpétue ! Je ne m'en lasse pas ! Opinel à l’infini et au-delà !
Mes soucis de santé ne me laissent plus beaucoup de choix, mais tout de même. J'ai du retard dans mes lectures. J'aimerais prendre le temps de cuisiner, tenter des trucs. Mon appartement a besoin d'être rafraichi. J'ai du tri à faire dans beaucoup de domaines. Je ne vais pas m'ennuyer ! Et puis je viendrai vous rendre visite quelquefois !
A la retraite on change de rythme de vie. Les temps de repos ne sont plus faits de week-end et de 5 semaines de vacances ! Pour moi la retraite c'est un autre monde. Les collègues de travail vont me manquer, le rythme du travail aussi. Mais petit à petit les choses se mettront en place. Et puis je recevrai une invitation tous les ans pour la remise de médailles. L'occasion de se revoir. La retraite ? C'est tous les jours dimanche ! C'est une autre vie qui commence. Dorénavant tout ce que je vais faire ne sera rythmé que par ma volonté.
Avant de clore le chapitre de ma vie de travail, je voudrais dire quelques mots sur M. Maurice Opinel : c'était un chef d'entreprise très humain et accessible quel que soit notre statut dans l'entreprise. Le personnel le respectait. Je suis heureuse de l'avoir connu et d'avoir travaillé avec lui, à mon niveau bien sûr. Dans la famille Opinel de Cognin, j'ai connu Marcel, Maurice, Denis, Brigitte et François. De Saint-Jean-de-Maurienne j'ai connu Jacques et Maxime.
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